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  • L'INTERÊT DE L'ENFANT DANS LES PROCEDURES D'ASSISTANCE EDUCATIVE

    Article paru en avril 2006 dans la revue LexisNexis, droit de la famille


    L'INTERÊT DE L'ENFANT DANS LES PROCEDURES D'ASSISTANCE EDUCATIVE


    Pour apprécier l'opportunité d'une mesure d'assistance éducative, le juge des enfants « doit se prononcer en stricte considération de l'intérêt de l'enfant » (article 375-1 du code civil).


    Cette disposition est nouvelle, car elle a été apportée par l'article 13 de la loi N° 2004-1 du 2 janvier 2004 relative à l'accueil et à la protection de l'enfance dans une matière qui suscite beaucoup de remous.


    L'application de ce texte par le juge n'est pas aisée.


    Difficile à cerner, la notion d'intérêt de l'enfant est critiquée par de nombreux auteurs, qui considèrent notamment que ce concept est flou , « qui ne veut pas dire grand-chose » .


    D'autres auteurs considèrent que cette notion ne peut pas être appréhendée dans sa globalité et qu'il convient de la disséquer en distinguant son objet et sa fonction .


    En l'absence de définition légale de l'intérêt de l'enfant, une difficulté récurrente se pose au juge des enfants lorsque cet intérêt est perçu différemment par les parents, par le demandeur à la mesure d'assistance éducative ou par le mineur lui-même .


    En outre, il peut arriver que l'intérêt actuel de l'enfant diffère de son intérêt futur.


    En présence d'un tel conflit de définition de la notion d'intérêt de l'enfant, sur quels critères le juge se fondera t-il pour prendre la décision la plus adéquate ?


    La loi a donné au juge des enfants des directives permettant de préserver l'intérêt de l'enfant (I). Toutefois, la difficulté de définir l'intérêt de l'enfant a des conséquences néfastes au but recherché (II).


    I) Directives permettant au juge de préserver l'intérêt de l'enfant
    Deux directives essentielles contenues dans les textes régissant les mesures d'assistance éducative permettent au juge de mener à bien sa mission : la limitation du recours au placement (A) et la recherche de l'adhésion des familles (B).
    A) Limitation du recours au placement


    Il résulte des dispositions des articles 375-2 et 375-3 du code civil que le juge doit privilégier les mesures d'assistance éducative en milieu ouvert au détriment du placement de l'enfant, qui doit rester une mesure exceptionnelle.


    Il est en effet de l'intérêt de l'enfant de vivre, dans la mesure du possible, chez ses parents.


    Les liens de sang sont privilégiés, notamment pour des raisons d'équilibre affectif de l'enfant.


    En effet, le placement, qui fait l'objet d'un important contentieux , peut entraîner des conséquences graves compromettant l'avenir de l'enfant. Le juge ne doit l'ordonner qu'à l'issue d'une réflexion sérieuse .


    En outre, les placements prolongés pendant plusieurs années compromettent les chances d'un retour réussi de l'enfant chez ses parents, nonobstant les études en sens contraire, qui considèrent que la réussite du placement serait fonction de sa durée .


    De surcroît, la convention de New York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant consacre le droit pour ce dernier de préserver « ses relations familiales... sans ingérence illégale » (article 8). Le droit pour l'enfant à une vie familiale normale est également proclamé par la convention européenne des droits de l'homme (articles 8 et 12).


    Si l'Etat conserve une marge d'intervention pour protéger l'enfant, cette ingérence dans la sphère familiale est strictement réglementée, l'enfant ayant, en cas placement, le droit de garder contact avec ses parents et à terme, de retourner chez eux .


    La Cour de cassation rappelle toutefois qu'il « résulte du texte même de la Convention du 26 janvier 1990 que, conformément à l'article 4 de celle-ci, ses dispositions ne créent d'obligations qu'à la charge des Etats parties, de sorte qu'elles ne peuvent être directement invoquées devant les juridictions » .


    2 - Recherche de l'adhésion des familles à la mesure


    En vertu de l'article 375-1 du code civil, le juge doit toujours s'efforcer de recueillir l'adhésion de la famille à la mesure envisagée.


    Cette règle, qui donne un sens à l'autorité parentale (conservée par les parents même en cas de placement de l'enfant ), permet de limiter dans la mesure du possible, les conflits pouvant résulter de la mesure et constitue un moyen d'assurer la réussite de l'intervention judiciaire .


    En effet, l'ouverture d'une procédure d'assistance éducative est souvent mal vécue par les parents, car elle suppose une défaillance de leur part.


    Toutefois, la recherche absolue de l'adhésion de la famille peut être source de malentendus, certains parents pouvant en déduire que la mesure est subordonnée à leur approbation. Il est en effet peu courant que le juge requiert l'opinion des parties sur la décision qu'il envisage de prendre.


    Cette recherche de l'adhésion de la famille comporte également un risque de paralysie ou d'inaction pour le juge .


    En outre, cette spécificité de la procédure d'assistance éducative créée parfois des rapports particuliers entre le juge et les parties, sources de conflits qui sont exacerbés lorsque les parents de l'enfant objet de la mesure d'assistance éducative sont séparés ou instance de divorce et se disputent la garde de l'enfant. Les décisions du jugent peuvent alors créer une suspicion de partialité de sa part. Ainsi, les demandes de récusation sont courantes, le comportement des parties à l'audience étant de nature à influencer la décision du juge, indépendamment du danger encouru par l'enfant.


    Toutefois, ces demandes sont rarement accueillies. Ainsi, suite à une demande de récusation former par une partie qui invoquait l'hostilité du juge des enfants à son égard et sa partialité, indiquant que les décisions de ce magistrat étaient systématiquement défavorables à ce parent et toujours favorables à l'autre, la Cour de cassation a considéré que « c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation que la cour d'appel qui, recherchant l'existence d'une éventuelle cause de récusation et prenant ainsi en copte l'intérêt supérieur de l'enfant, a retenu qu'il ne résultait ni de la requête, ni des pièces produites l'inimitié notoire allégée du magistrat désigné dans la demande de récusation à l'égard de la requérante ou des éléments de nature à faire peser sur ce magistrat un soupçon légitime de partialité » .


    II) Conséquences de la difficulté de définir l'intérêt de l'enfant


    L'imprécision de cette notion favorise les dérives jurisprudentielles (A), ce qui donne un sentiment d'inefficacité du dispositif régissant les procédures d'assistance éducative (B).


    A) - Dérives jurisprudentielles


    L'application des textes par les juges n'est pas toujours conforme à l'esprit du législateur.


    On constate notamment :


    - un défaut de motivation ou une motivation stéréotypée de nombreuses décisions de justice , particulièrement sur les éléments caractérisant l'existence d'un danger pour la santé, la sécurité ou la moralité du mineur ou compromettant gravement son éducation (article 375-1 du code civil) .


    - des placements prolongés de manière injustifiée.


    L'analyse de la jurisprudence démontre qu'il est souvent difficile pour les parents d'obtenir le retour de leur enfant ayant fait l'objet d'un placement. Certains parents, lassés de faire des efforts considérables non pris en compte par les juges, se sentent humiliés dans leur rôle de parents et abandonnent toute démarche tendant au retour de l'enfant.


    Le juge dispose d'une marge de manœuvre importante, favorisée par le caractère imprécis de la notion d'intérêt de l'enfant au vu de laquelle il doit prendre sa décision, d'autant plus que la Cour de cassation rappelle régulièrement que les juges du fond ont une appréciation souveraine quant à l'opportunité d'un placement .


    A cet égard, certains auteurs considèrent que la notion d'intérêt de l'enfant « est à proscrire, car propre aux dérives, elle autorise des accommodations avec les règles légales » .


    Pour d'autres, cette notion est une « arme subversive exerçant un effet dissolvant sur les principes et sur les mécanismes juridiques traditionnels » .


    Quant à la Cour de cassation, elle censure certaines dérives, notamment en rappelant que l'intérêt de l'enfant ne justifie pas à lui seul une mesure d'assistance éducative. Ainsi, dans un arrêt du 8 octobre 1986, la Haute Cour a rappelé que lorsque le danger disparaît, le juge doit mettre fin à la mesure d'assistance éducative. En l'espèce, la Cour d'appel avait rejeté la demande d'une mère tendant à ce que ses enfants lui soient rendus, considérant que sans sous estimer la valeur des efforts accomplis par la mère pour surmonter ses difficultés, il apparaît nécessaire de tenir compte du fait que les mineurs vivent depuis plusieurs années dans une situation à laquelle ils se sont habitués et de favoriser une adaptation mutuelle et progressive, afin que le changement dans les conditions d'existence de ces enfants puisse s'opérer sans dommage.


    La Cour de cassation a censuré cette motivation usuelle et stéréotypée, en cassant l'arrêt de la Cour d'appel au motif que cette dernière avait privé sa décision de base légale en s'abstenant d'indiquer en quoi la santé, la sécurité ou la moralité des enfants étaient en danger auprès de leur mère ou les conditions de leur éducation gravement compromises .


    Cette décision doit être approuvée, car il est conforme à l'intérêt de l'enfant de favoriser son retour dans sa famille naturelle, ce qui permet d'enrayer le processus d'inadaptation du mineur .


    En effet, un placement trop long ou inadapté peut avoir des conséquences désastreuses. Dans certains cas dramatiques, le contact est rompu totalement par le parent avec l'enfant, pour marquer l'opposition au placement prolongé de ce dernier.


    Le sentiment d'avoir été abandonné par ses parents entraîne chez l'enfant des répercussions psychologiques graves, qui se poursuivent à l'adolescence et à l'âge adulte. Certains enfants sombrent dans la déviance ou la délinquance.


    B) Constat d'inefficacité des mesures d'assistance éducative


    On constate qu'en pratique, les mesures d'assistance éducative sont souvent difficiles à appliquer et inefficaces.


    Les critiques émanent tant des praticiens que des justiciables, ces derniers éprouvant souvent un sentiment d'impuissance et d'humiliation, raison pour laquelle un rapport propose de développer l'accès au droit, notamment en rendant la présence de l'avocat obligatoire .


    D'autres proposent de renforcer les garanties procédurales accordées aux parents, notamment en ce qui concerne l'organisation d'un vrai débat judiciaire et l'obligation de motiver toutes les décisions .


    Certains auteurs critiquent spécialement le placement, présenté comme un dispositif difficile à manier, propice aux excès et irrespectueux des droits des victimes .


    D'autres proposent d'éviter le placement en intervenant de manière préventive .


    A noter, le point de vue d'un psychiatre qui émet une critique globale de l'application des mesures d'assistance éducatives en vigueur, en considérant qu'elles entraînent souvent une évolution catastrophique des mineurs concernés vers une violence extrême, des troubles psychiatriques graves ou une déficience intellectuelle .


    On constate un décalage important entre les dispositions législatives et leur mise en œuvre. On constate beaucoup d'incohérences dans la pratique. Il convient d'instaurer une relation de confiance entre les parents, le juge des enfants et les éducateurs, pour que l'enfant ne soit pas l'otage des conflits entre les uns et les autres.


    Une réforme de cette matière apparaît donc souhaitable.
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